Elmoreden

Lorsque le ciel d’Elmoreden se teinta de rouge, il ne s’agissait point d’un coucher de soleil. C’était un avertissement.
Le sol trembla, les arbres frissonnèrent comme si la terre elle-même s’éveillait d’un cauchemar ancien. Dans les villes, les villages et jusque dans les plus hautes tours, tous levèrent les yeux, le cœur serré, les entrailles nouées.

Et ce fut par la Passeuse de Giran qu’il arriva.
Un jeune homme, l’allure hagarde, couvert de sang et de poussière, titubant comme un survivant d’un monde qui n’existait déjà plus. Il s’effondra sur la grande place de Giran, devant une foule figée par l’horreur. Trois aventurières, rompues à l’inattendu, s’avancèrent.
L’humaine Lotus, aux longs cheveux roux et aux yeux couverts d’un bandeau, portait la sagesse grave de ceux qui voient sans les yeux.
Silinna, la naine, éveillait la lumière dans l’obscurité par sa vivacité et son rire prêt à jaillir même au plus profond des ombres.
Et Slyanna, l’elfe sombre au regard tranchant et à la voix ferme, portait le poids de décisions que peu osent prendre.

L’homme tremblait, les lèvres fendues de peur.
Il parla, difficilement : « Je… je suis de l’Institut d’Histoire et d’Archéologie d’Aden… M-Maître Esharion… il est resté là-bas… les ruines… des horreurs… des abominations venues des abysses… »

On l’emmena au temple. Les prêtres s’occupèrent de lui, mais c’est à Lotus, Silinna et Slyanna qu’il confia son ultime supplique : sauver Maître Esharion.

Guidées par le récit brisé du survivant, les trois aventurières se dirigèrent vers les ruines elfiques de la région du Lac Iris, là où le miroir d’eau cachait depuis des siècles un passé oublié.

À peine eurent-elles foulé les abords de l’ancien site qu’un cri fendit l’air :
« FUYEZ ! »

Un elfe en loques, agité, leur faisait signe de se cacher. Trop tard. Deux immondes guerriers des Abysses, silhouettes cauchemardesques à la peau boursouflée et aux yeux sans âme, fondirent sur elles.
Les trois combattantes s’élancèrent sans crainte. L'acier dansa, les sorts éclatèrent. Les créatures tombèrent, abattues par la vaillance et la coordination des trois compagnes.

L’elfe n’était autre que Maître Esharion. Il raconta : une découverte, des glyphes antiques, et puis… le sol qui s’ouvre, les horreurs qui s’extirpent comme vomies par la terre elle-même. Les gardes massacrés. Le site, perdu.

Mais les créatures cherchaient quelque chose. Ou peut-être étaient-elles appelées… par quelque chose.

Ensemble, ils pénétrèrent les entrailles des ruines de l'ancienne forteresse. Couloirs sculptés par des mains elfiques disparues depuis mille ans, salles effondrées, statues rongées par le temps…
Des horreurs les attendaient à chaque détour. Et les compagnes, intrépides, les affrontèrent.

Ils arrivèrent enfin dans une vaste pièce circulaire. Au centre, une porte de pierre ancienne, ornée de glyphes lumineux, portait cette énigme :

« Sept furent scellés, mais un seul fut oublié. Nomme-le, et la voie s’ouvrira. »

Sur le mur, un mot presque effacé : _ _ _ Q _ _ T _.

Elles cherchèrent. Réfléchirent. Puis, la voix de Slyanna, grave comme l’écho d’un souvenir :

« Conquête ? »

La pierre s’illumina. Et la porte s’effondra dans un fracas d’éternité.

Esharion, craignant ce qu’ils pourraient libérer, décida d’attendre là.
Les trois aventurières descendirent dans les tréfonds. Les ténèbres étaient épaisses, presque vivantes. Les créatures, plus nombreuses. Mais quelque chose d’autre s’y mouvait…
Des bruits de pas. Des murmures. Une présence.

Et enfin, après d’innombrables détours, elles parvinrent au sanctuaire.

Au centre d’une salle ancienne, un autel. Dessus, un coffret de pierre ciselé, recelant le mystère des Anciens. Slyanna s’approcha. Sa main effleura la pierre.

« N’y touchez pas ! » hurla une voix derrière elles.

Un elfe sombre, silhouette droite, portait un blason inconnu. Des Lilims apparurent, jaillissant du sol, accompagnés d'une envoyée de Lilith, vision d'horreur. Le combat fut rude. Mais les trois aventurières triomphèrent.

L’elfe sombre restait là. Calme. Méprisant. Son regard ne quittait plus Lotus.

Il se présenta comme un agent de la Légion d’Iskar, au service de Khael Valdis. Il parlait d’un monde nouveau, purgé des royaumes humains, dominé par les forts. Un monde fondé sur la méritocratie brutale de son maître.

« Le temps des Hommes touche à sa fin », déclara-t-il.

Mais Slyanna se dressa. Refusa. Et le défia.
Le sombre ricanait, avant de se fondre dans les ombres, sa menace planant dans l’air vicié : « Vous regretterez de vous opposer à la Légion d’Iskar. »

Le silence retomba.

Slyanna tendit la main vers le coffret. Une chaleur s’en dégageait.
Elle l’ouvrit. À l’intérieur, un fragment de gemme jaune, iridescent et vivant. Lorsqu’elle le toucha, un frisson l’envahit. Une envie… une soif. De puissance. De gloire. De domination.

Le fragment de Conquête.

Les avis se heurtèrent.
Lotus voulait le laisser ici, sous surveillance.
Silinna proposa de le confier à Esharion.
Mais Slyanna voulait le cacher, loin des puissants. Et dans l’ombre du fragment, son autorité devint écrasante.

Elles remontèrent. Esharion les accueillit avec espoir. Mais à la vue du fragment, il exigea de l’emmener à Aden.
Slyanna refusa. Froidement.

Le ton monta. Esharion, furieux, les quitta pour alerter les autorités.
Mais bientôt, un cri. Un hurlement.

Les aventurières accoururent. Et le trouvèrent là.

Esharion, étendu dans une mare de sang. Une dague dans le dos. Un blason sur le pommeau. Celui de la Légion d’Iskar.

Le sombre n’avait pas quitté les ruines.

Les aventurières quittèrent les ruines, changées.

Le fragment brûlait encore dans la besace de Slyanna. Son poids était plus que matériel. Il portait les promesses d’un pouvoir ancien… et d’un mal plus ancien encore.

La Légion d’Iskar était en mouvement.
Le ciel s’était teinté de rouge.
Et peut-être, juste peut-être, que les Signes oubliés étaient en train de s’éveiller.