L’Ombre de la Conquête
Chapitre I – Le Trône et les Ombres
Chapitre II – Le Marchand aux Yeux GrisSous les hautes voûtes de marbre de Giran, là où la lumière hésite à briller, le Duc Edmond de Valcrest tenait audience. La salle, vaste et glacée, était emplie d’un silence troublant, comme si les murs eux-mêmes craignaient d’entendre les secrets que l’on allait y murmurer. Les vitraux peints jetaient au sol des éclats rougeoyants, comme du sang figé dans le verre.
Parmi les courtisans poudrés et les hommes de guerre silencieux, trois figures se fondaient dans la foule : Slyanna, l’elfe sombre au regard perçant ; Lotus, l’humaine aveugle à la chevelure de feu ; et Silinna, la naine érudite, à l’esprit vif et aux mains calleuses. Toutes trois portaient le poids d’un secret : elles avaient, quelques lunes auparavant, mis la main sur le premier fragment du Signe de la Conquête, une relique d’un autre âge, un éclat de pouvoir trop ancien pour appartenir au monde des hommes.
Le duc, en grand apparat, trônait parmi ses dames et ses gardes comme un vautour repu parmi les plumes. Sa voix s’éleva, froide et grave :
« La Légion d’Iskar, ces chiens à l’âme brûlée, ont trouvé quelque chose… quelque chose qu’ils ramènent au nord. Je veux que cela me revienne. Et je paierai en pièces d’or aussi vieilles que le Trône lui-même. »
Une rumeur parcourut la salle. La salle du trône n’était plus un lieu de droit ; elle devenait un carrefour d’ombres, de pactes silencieux et de desseins inavoués.
Chapitre III – Rune la NoireAlors que le froid tombait doucement sur Giran, les trois compagnes quittèrent l’audience. Mais à peine avaient-elles franchi les lourdes portes du palais qu’un homme les héla. Drapé dans une cape de laine grossière, le regard dissimulé par une capuche, il s’adressa à elles d’un ton grave et cynique. Un marchand, dit-il, mais au regard trop rusé pour ne vendre que du sel ou du blé.
Il leur tendit un carnet, modeste et relié de cuir, qu’il leur demanda de remettre à un certain Bran, dans les bas-fonds de Rune. En échange ? Une promesse : celle de découvrir le lieu exact où la Légion aurait dissimulé sa trouvaille.
La méfiance était vive. Silinna lut entre les lignes du carnet : il semblait n’être qu’un vulgaire livre de comptes… mais quelque chose clochait. Lotus fronça les sourcils, sentant une duplicité qu’elle ne pouvait nommer. Seule Slyanna, d’un sourire énigmatique, sembla s'accorder avec l’inconnu, comme si leurs cœurs avaient en partage une même aversion : le dédain pour Edmond.
Après un bref débat, elles acceptèrent le pacte.
Chapitre IV – Sous la Montagne SilencieuseLe voyage jusqu’à Rune, port maudit aux pavés humides, fut rude. Elles marchèrent sous des cieux d’encre, évitant les patrouilles, franchissant rivières gelées et sentiers oubliés.
Bran les y attendait. Un homme mince, vêtu d’un long manteau rapiécé, au sourire trop tranquille pour être honnête. Il lut le carnet avec une indifférence feinte, comme s’il connaissait déjà son contenu.
« Le camp est là-haut… au bord du monde, là où les cris gèlent dans les gorges. »
Promesse fut faite. Et le pacte scellé.
Chapitre V – Le Pacte InconscientElles marchèrent longtemps. Le vent d’Elmore hurlait comme mille spectres et la neige avalait leurs traces. À l’approche des montagnes noires de Schuttgartt, la route devint un murmure de cauchemar.
Le camp était là, flanqué d’une brèche dans la roche. Des tentes éventrées, des cadavres raides aux yeux figés. Tous portaient l’armure de Khael Valdis, seigneur de la Légion d’Iskar.
Mais au centre… un homme vivait encore.
Un humain, ou ce qu’il en restait. Ses yeux brûlaient d’une lueur jaune, ses mains agrippées à une lame sanglante. Il hurlait. Pas des mots, mais un cri ancien, inhumain, plus proche du vent que de la langue.
« DOMINER ! VOUS DOMINER !! »
Il chargea, dément. Lotus tendit ses mains, tissa un sort d’entrave. Silinna et Slyanna frappèrent. Le fou mourut en silence, le regard encore fou d’étoiles mortes.
Et sous sa cuirasse… le second fragment.
Chapitre VI – Murmures dans la GlaceSilinna, sans un mot, glissa la relique dans sa poche. Mais déjà, une corne retentissait. Les éclaireurs d’Elmore approchaient. Slyanna et Silinna fuirent dans la neige, leurs pas avalés par le blizzard.
Lotus, restée en arrière, scrutait encore les symboles gravés dans la roche. Les murmures l’appelaient. Elle ne résista pas. Quand les hommes d’Elmore arrivèrent, elle ne se battit pas. Elle fut capturée.
La rumeur court depuis : une femme d’Aden aurait été exhibée dans les rues de Goddard, humiliée par le peuple… mais relâchée par ordre direct du roi Eisenwolf. Une clémence bien étrange. Trop étrange pour ne pas dissimuler un dessein plus profond.
La nuit tomba sur le nord. Les fragments étaient réunis. Et dans les rêves de Silinna… une vision :
« Le vrai ordre n’a jamais commencé. Brisez les chaînes. Prenez. Conquérez. »
Les flammes anciennes dansaient. Des titans oubliés levaient des épées d’étoiles. Une voix sans bouche parlait en elle. Et quelque chose, dans le lointain, s’éveillait.