L'Eveil de la Terre
« Lorsqu’un homme voué à la luxure choisit le sacrifice, les dieux eux-mêmes détournent le regard. »
- Paroles gravées sur une dalle scellée, ruines de Giran.
- Paroles gravées sur une dalle scellée, ruines de Giran.
Il advint, au cœur de l’été, qu’un grondement venu des entrailles du monde mit fin à la paix trompeuse de cité de Giran. Dans les ténèbres d’une nécropole oubliée, une elfe sombre du nom de Syrael posa les mains sur le Signe de l’Éveil. Elle le mit en lieu sûr, ignorant peut-être les conséquences. Mais l’univers, lui, n’oublie rien. Et dans la Passe de la Mort, Antharas, le Dormeur, se réveilla.
À Giran, les cloches sonnèrent. Non pas pour la guerre, ni pour la couronne, mais pour l’ultime appel. Sur la grande place, la foule fuyait vers la passeuse, les enfants pleuraient, les derniers soldats s’équipaient sans illusion.
Alors le Duc Edmond de Valcrest fit son entrée. Enveloppé de soie et suivi de sa bête fauve, il se tenait droit malgré l’âge et ses excès. Il n’était pas aimé de tous, mais Giran le respectait : il avait fait d’elle un joyau du Sud, et jamais il ne l’avait abandonnée.
« Vous voilà tous... Le fer, le sang, la foi et le doute. Rassemblés dans ce mausolée vivant qu’on appelait jadis Giran.
J’ai gouverné par caprice, par appétit, par orgueil. Je n’ai pas été un bon Duc.
Mais je suis encore le vôtre. »
Un silence pesant suivit ses mots. Puis un homme s’avança — Hallar, le bourgmestre de Gludin, et le traita de tyran. Le ton monta. Edmond n’eut qu’un geste las.
« Sauvez-les, alors. Faites mieux. Mais ne restez pas là à peser mes fautes quand le sol s’ouvre sous nos pieds. »
Antharas arriva. Les collines cédèrent. La vallée résonna. Les aventuriers partirent à sa rencontre, affrontant l’impossible dans un fracas d’écailles et de feu. Des dizaines tombèrent. Les mages brûlèrent. La terre saigna.
Quand le cor retentit depuis les murailles de Giran, ils comprirent : le Duc avait tenu sa promesse. Il avait évacué la ville.
Repliés dans les rues, ils trouvèrent Edmond non pas en fuite, mais armé, son armure ternie de sueur, aux côtés de son capitaine. Les nains du Consortium, avant de fuir, avaient laissé un présent : des golems d’assaut, des pachydermes mécaniques de guerre bardés de plaques et d’artillerie magique.
« Piégez-le. Attirez-le ici. Si Giran doit tomber, qu’elle tombe sur lui. »
Antharas pénétra dans la cité. Les murs l’encaissèrent, les golems tirèrent, les aventuriers hurlèrent. Il cracha le feu des profondeurs et fit pleuvoir des météores. Des quartiers entiers disparurent.
Alors Edmond, en surpoids et à bout de souffle, prit son épée, serra les dents, et se jeta dans la gueule de la bête.
Il mourut en combattant, dévoré par le monstre. Sa couronne, broyée, resta prise entre les crocs d’Antharas.
Le dragon finit par tomber, éventré, pilonné, hurlant son agonie jusqu’aux étoiles.
Mais Giran aussi était morte.
Dans les ruines fumantes, les aventuriers se disputèrent les restes : les écailles, les os, les joyaux enfouis dans la chair du dragon. Hallar insulta encore le Duc. Le Capitaine de la Garde, enfouit la couronne d’Edmond dans les gravats, là où son sang avait coulé.
« Il fut bien des choses... mais il fut nôtre. »
Déjà, certains murmuraient leur droit à régner. Les vautours s’installaient.
Mais nul ne demanda :"Pourquoi s’est-il éveillé ?"
Syrael, dissimulée sous sa cape, observait les flammes. Elle avait combattu. Mais son regard n’était pas tourné vers les cendres.
Elle tremblait. Non de fatigue, mais de vertige. Le Signe, bien caché, palpitait encore dans sa mémoire.